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Espaces Lacan
Séminaire du 12 mai 1971
"LITURATERRE" : ce mot que je
viens d'écrire intitule ce que je vais vous offrir aujourd'hui, parce qu'il
faut bien, puisque vous êtes convoqués là, que je vous lance quelque chose. Il
m'est évidemment inspiré par l'actualité : c'est le titre dont je me suis
efforcé de répondre à une demande qui m'a été faite d'introduire un numéro qui
va paraître sur "Littérature et psychanalyse". Ce mot "Lituraterre" que j'ai
inventé, se légitime de l' "Ernout et Meillet" comme il y en a peut-être ici
qui savent ce que c'est, c'est un dictionnaire étymologique du latin qui n'est
pas trop bêtement fait. Cherchez à "lino", "litura", vous trouverez, et puis
"liturarius" ; il est bien précisé que ça n'a rien à faire avec "littera", la
lettre.
Que ça
n'ait rien à faire, moi je m'en fous ! Je ne me soumets pas forcément à
l'étymologie quand je me laisse aller à ce jeu de mots, dont on fait à
l'occasion le mot d'esprit, le contre-pêt, en l'occasion évident, m'en
revenant aux lèvres et le renversement à l'oreille. Ce n'est pas pour rien
que, quand vous apprenez une langue étrangère, vous mettez la première
consonne de ce que vous avez entendu la seconde, et la seconde, la première.
Donc, ce dictionnaire - qu'on s'y reporte - m'apporte auspices d'être fondé du
même départ que je prenais d'un premier mouvement - j'entends départ au sens
de répartie - départ d'une équivoque dont Joyce - c'est James Joyce dont je
parle - dont J.Joyce glisse de " a letter" à "a litter" : d'une lettre
traduite à une ordure. Il y avait - vous vous en souvenez peut-être, mais très
probablement vous n'en avez jamais rien su - il y avait un mécène qui lui
voulait du bien et qui lui offrait une psychanalyse, et même que c'était de
Jung qu'elle la lui offrait. Au jeu que nous évoquons, il n'y eût rien gagné,
puisqu'il allait tout droit avec ce "a letter", "a litter", tout droit au
mieux de ce que l'on peut attendre de la psychanalyse à sa fin. A faire
litière de la lettre, est-ce Saint-Thomas encore qui revient à Joyce, comme
son oeuvre en témoigne tout au long ou bien est-ce la psychanalyse qui atteste
sa convergence avec ce que notre époque accuse d'un débridement du lien, du
lien antique dont se contient la pollution dans la culture ? J'avais brodé
là-dessus comme par hasard, un peu avant le Mai 68, pour ne faire défaut ce
jour-là aux pensées des paumés de ces affluences que je me trouve maintenant
déplacer quand je fais visite quelque part : c'était à Bordeaux. La
civilisation, y rappelais-je en prémisses, c'est l'égout. Il faut dire sans
doute que c'était peu après que ma proposition d'Octobre 67 avait été
accueillie comme on le sait, il faut vous dire sans doute que, en jouant de
ça, j'étais un peu las de la poubelle à laquelle j'ai rivé mon sort. Pourtant
on sait que je ne suis pas le seul qui a pour partage "l'avouère", pour vous
le prononcer à l'ancienne, c'est l' "avoir" dont Beckett fait balance aux
joies de tous ces déchets de notre être. "L'avouère" sauve l'honneur de la
littérature et, ce qui m'agrée assez, me relève du privilège que je pourrais
croire venir de ma place. La question est de savoir si ce dont les manuels de
littérature - soit que la littérature soit accommodation des restes - semblant
faire état non pas de la technique. Est-ce affaire de connotation dans l'écrit
de ce qui d'abord primitivement serait chant, mythe parlé, procession
dramatique ? Pour la psychanalyse, qu'elle soit appendue à l'Œdipe, à l'Œdipe
du mythe, ne la qualifie en rien pour s'y retrouver dans le texte de Sophocle
: ce n'est pas pareil. L'évocation par Freud d'un texte de Dostoïevsky ne
suffit pas pour dire que la critique du texte, jusqu'ici chasse gardée du
discours universitaire, ait reçu de la psychanalyse plus d'air. Si pourtant
mon enseignement prend place dans un changement de configuration, qui
actuellement sous couleur d'actualité, actuellement s'affiche d'un slogan de
promotion de l'écrit... mais ce changement, dont ce témoignage, par exemple
que ce soit de nos jours qu'enfin Rabelais soit lu, montre qu'il repose
peut-être sur un déplacement littéraire à quoi je m'accorde mieux. Je suis
comme auteur moins impliqué qu'on imagine. Mes écrits, un titre plus ironique
qu'on ne croit, puisqu'il s'agit en somme soit de rapports qui sont fonction
de congrès, soit, disons, j'aimerais bien qu'on les entende comme ça : des
lettres ouvertes où je fais sans doute question chaque fois d'un vent de mon
enseignement. Mais enfin ça en donne le ton...
Loin en tout cas de me commettre dans ce
frotti-frotta littéraire dont se dénote le psychanalyste en mal d'invention,
j'y dénonce là tentative immanquable à démontrer l'inégalité de sa pratique à
motiver le moindre jugement littéraire. C'est pourtant frappant que, ce
recueil de mes Ecrits, je l'ai ouvert d'un article que j'isole en l'extrayant
de sa chronologie - la chronologie fait règle et que là il s'agisse d'un
conte, lui même - il faut le dire - bien particulier de ne pouvoir rentrer
dans la liste ordonnée - vous savez qu'on l'a faite - des situations
dramatiques. Enfin, laissons ça. Lui, le conte, il se fait de ce qu'il advient
de la poste d'une lettre dite, d'au-dessus de ce qui se passe ses faire suivre
et de quels termes s'appuie que je puisse, moi, puisse dire de cette lettre,
dire à propos d'elle qu'une lettre toujours en vient à sa destination, et ceci
après les détours qu'elle y a subis, dans le conte, le compte, si je puis
dire, soit rendu, sans aucun recours à son contenu, à la lettre. C'est cela
qui rend remarquable l'effet qu'elle porte sur ceux qui tour à tour s'en font
les détenteurs, tous ardents qu'ils puissent être du pouvoir qu'elle confère,
pour y prétendre que cet effet d'illusion ne puisse s'articuler, ce que je
fais, moi, que comme un effet de féminisation. C'est là - je m'excuse d'y
revenir - bien distinguer - je parle de ce que je fais - la lettre du
signifiant maître, en tant qu'ici elle l'emporte dans son enveloppe, puisqu'il
s'agit d'une lettre au sens du mot épistole. Or je prétends que je ne fais pas
le du mot "lettre" usage métaphorique, puisque justement le conte consiste en
ce qu'y passe comme muscade le message dont c'est l'écrit, donc proprement la
lettre qui fait seule péripétie. Ma critique, si elle a lieu d'être tenue pour
littéraire, n'aurait là donc portée - je m'y essaie - que sur ce que Poe a
fait, d'être écrivain lui-même, pour former un tel message sur la lettre. Il
est clair qu'à ne pas le dire tel quel tel que je le dis, moi, ce n'est pas
insuffisant, c'est d'autant plus rigoureusement qu'il l'avoue. Néanmoins
l'élision de son message n'en saurait être élucidée au moyen de quelque trait
que ce soit de sa psychobiographie, bouchée plutôt qu'elle en serait, cette
élision ! une psychanalyste qui - on s'en souvient peut-être - a récuré les
autres textes de Poe, Ici déclare forfait de sa serpillière : elle n'y touche
pas, la Marie ! Voilà pour le texte de Poe.
Je vais vous proposer quelque chose comme ça brutalement pour venir après "a letter", "a litter", moi je vais vous dire : la lettre n'est-elle pas le littéral à fonder dans le littoral ? Car ça c'est autre chose qu'une frontière ; d'ailleurs vous avez pu remarquer que ça ne se confond jamais. Le littoral, c'est ce qui pose un domaine tout entier comme faisant à un autre, si vous voulez, frontière, mais justement de ceci, de ce qu'ils n'ont absolument rien en commun, même pas une relation réciproque. La lettre n'est-elle pas proprement littoral, le bord du trou dans le savoir que la psychanalyse désigne justement quand elle aborde la lettre, voilà-t-il pas ce qu'elle désigne ? Le drôle, c'est de constater comment la psychanalyse s'oblige en quelque sorte de son mouvement même à méconnaître le sens de ce que pourtant la lettre dit à la lettre, c'est le cas de le dire, de sa bouche, quand toutes ses interprétations se résument à la jouissance. Entre la jouissance et le savoir la lettre ferait le littoral, tout ça n'empêche pas que ce j'ai dit de l'inconscient nous restant là ait quand même la précédence, sans quoi ce que j'avance n'aurait absolument aucun sens. Il reste à savoir comment l'inconscient que je dis être effet de langage de ce qu'il en suppose la structure comme nécessaire et suffisante, comment il commande cette fonction de la lettre. Qu'elle soit instrument propre à l'inscription du discours, ne la rend pas du tout impropre à servir à ce que j'en fais, comme dans "l'instance de la lettre", par exemple, dont je vous parlais tout à l'heure, où je l'emploie à montrer le jeu de ce que l'autre appelle - Jean Tardieu - le "mot pris pour un autre", voire "le mot pris par un autre", autrement dit la métaphore et la métonymie comme effets de la phrase. Ca symbolise donc aisément tous ses effets de signifiant, mais ça n'impose nullement qu'elle soit, elle, la lettre, dans ses effets-mêmes, pour lesquels elle me sert d'instrument, qu'elle soit primaire.
L'examen l'impose, moins de cette primarité qui n'est même pas à supposer, mais de ce qui du langage appelle le littoral : littéral. Rien de ce que j'ai inscrit, à l'aide de lettres, des "formations de l'inconscient" pour le récupérer de ce dont Freud les formule, des énoncés, plus simplement des faits de langage, rien ne permet de confondre, comme il s'est fait, la lettre avec le signifiant. Ce que j'ai inscrit à l'aide de lettres des "formations de l'inconscient" n'autorise pas à faire de la lettre un signifiant et à l'affecter, qui plus est, d'une primarité au regard du signifiant. Un tel discours confusionnel n'a pu surgir que de celui, du discours qui m'importe et justement il m'importe dans un autre discours que j'épingle le temps venu du discours universitaire, soit - je l'ai souligné assez depuis un an et demi, je pense - soit du savoir mis en usage à partir du semblant. Le moindre sentiment de l'expérience à quoi je parle, ne peut se situer que d'un autre discours que de celui-là. J'eus dû le garder, le produit, le discours, de ce que je ne désigne pas plus, sans l'avouer, de moi. On me l'a épargné, Dieu merci, n'empêche qu'à m'importer au sens que j'ai dit tout à l'heure on m importune ! Si j'avais trouvé recevables les modèles que Freud articule dans une esquisse d'où décrire le frayage, le forage de routes imprécises, je n'en aurais pas pour autant pris la métaphore de l'écriture. Et justement c'est sur ce point précis que je ne la trouve pas recevable. L'écriture n'est pas l'impression, n'en déplaise à tout ce qui s'est fait comme bla-bla sur le fameux Wunderblock. Que je tire parti de la lettre appelée 52ème, c'est d'y lire ce que Freud ne pouvait qu'énoncer sous le terme qu'il forge du W-Z : WahrnehmungsZeichen, et de repérer que c'est ce qu'il pouvait trouver de plus proche du signifiant à la date où Saussure ne l'avait pas encore remis au jour, ce fameux signifiant, qui ne date quand même pas de lui, puisqu'il date des Stoïciens. Que Freud l'écrive là de deux lettres, comme moi d'ailleurs je ne l'écris que d'une, cela ne prouve en rien que la lettre soit primaire.
Je vais donc essayer pour vous aujourd'hui d'indiquer le vif de ce qui me parait produire la lettre comme conséquence, et du langage précisément de ce que je dis que l'habite qui parle. J'en emprunterais les traits à ce que d'une économie de langage permet de dessiner ce que permet à mon idée que LITTÉRATURE peut être en train de virer à LITURATERRE. N'allez pas vous étonner de m'y voir procéder d'une démonstration littéraire puisque c'est là que marcher d'un même pas dont la question elle-même s'avance. On pourra peut-être y voir s'affirmer ce que peut-être une telle démonstration que j'appelle littéraire. Je suis toujours un peu au bord ; pourquoi pas, cette fois-ci…, m'y lancer. Je reviens d'un voyage que j'attendais de faire au Japon, ce que d'un premier - d'un premier voyage - j'avais éprouvé de littoral. On peut m'entendre de ce que j'ai dit tout à l'heure de l'"Umwelt" que j'ai répudié justement de cela : de rendre le voyage impossible, ce qui si vous suivez mes formules, serait assurer son Réel. Seulement voilà, c'est prématuré : c'est le départ que cela rend impossible, sauf à chanter : "partons ! partons !" cela se fait d'ailleurs beaucoup ! Je ne noterai qu'un moment de ce voyage, celui qu'il se trouve que j'ai recueilli de quoi ? D'une route nouvelle qu'il s'est trouvé que j'ai prise simplement de ceci que la première fois où j'y suis allé, elle était simplement interdite. Il faut que j'avoue que cela ne fut pas à aller, le long cercle arctique que trace cette route pour l'avion, que je fis lecture de quoi ? De ce que je voyais de la plaine sibérienne. Je suis en train de vous faire un essai de "Sibériétique" ? Cet essai n'aurait pas vu le jour si la méfiance de Soviétiques - ce n'était pas pour moi, c'était pour les avions - m'avait laissé voir les. industries, les installations militaires qui font le prix de la Sibérie. Mais en fin de cette méfiance, c'est là une condition que nous appellerons accidentelle, pourquoi même pas "occidentelle", si l'on y met de l'occire un peu . L'amoncellement du Sud Sibérien, c'est cela qui nous pend au nez. La seule condition décisive est ici la condition du littoral. Justement pour moi, parce que je suis un petit peu dur de la feuille, elle n'a joué au retour d'être littéralement ce que le Japon de sa lettre n'ait sans doute fait ce petit peu trop de chatouillements, qui est juste ce qu'il faut pour que je le ressente. Je dis que je le ressens, parce que bien sûr pour le repérer, pour le prévoir, j'avais déjà fait cela ici quand je vous ai parlé un petit peu de la langue japonaise, de ce qui, cette langue, proprement l'a fait : c'est l'écriture, je vous l'ai déjà dit. Il a fallu sans doute pour cela, pour ce petit peu trop, il a fallu que ce que l'on appelle l'art représente quelque chose. Cela tient dans le fait de ce que la peinture y démontre de son mariage à la lettre, et très précisément sous la forme de la calligraphie : cela me fascine ces choses qui pendent - alors kakemono, c'est comme cela que ça se jaspine - ces choses qui pendent au mur de tout musée là-bas portant inscrits des caractères, chinois de formation, que je sais un peu, très peu, mais qui, si peu que je le sache, me permettent de mesurer ce qu'il s'en élide dans la cursive où le singulier de la main écrase l'universel, soit proprement ce que je vous apprends ne valoir que du signifiant - je vous le rappelle un trait toujours vertical -. C'est toujours vrai s'il n'y a pas de trait. Donc, dans la cursive, le caractère, je ne l'y retrouve pas parce que je suis novice, mais ce n'est pas l'important. Car ce que j'appelle ce singulier peut appuyer une forme plus ferme. L'important, c'est ce qu'il y ajoute : c'est une dimension où encore comme je vous ai appris à jouer de cela, une "demansion", là où demeure ce que je vous ai introduit d'un mot que j'écris pour m'amuser : le "papeludun". C'est la dimension dont vous savez qu'elle ne permet - je vais vous dire tout cela... du petit jeu des mathématiques de Péano... etc. et de la façon dont il faut que Freud s'y prenne pour réduire la série des nombres "naturels" à la logique - celle donc dont j'instaure le sujet dans ce que je vais appeler aujourd'hui encore puisque je fais de la littérature et que je suis gai - vous allez le reconnaître - je l'écris sous une autre forme que celle-ci "le hun en pelus". Cela sert beaucoup. Cela se met à la place de ce que j'appelle "L'Achose" avec un grand A et ça la bouche du petit a. Ce n'est peut-être pas par hasard qu'il peut se réduire comme cela, comme je le désigne à une lettre. Au niveau de la calligraphie, c'est ce qui fait l'enjeu d'un pari, d'un pari, mais lequel ? D'un pari qui se gagne avec de l'encre et du pinceau.
Voilà c'est cela qu'invinciblement m'apparut dans une circonstance qui est à retenir, à savoir d'entre les nuages, m'apparut le ruissellement qui est seule trace à apparaître y opérer plus encore que d'en indiquer le relief, sous cette latitude, de ce que l'on appelle la plaine sibérienne, plaine vraiment désolée au sens propre d'aucune végétation, mais de reflets, reflets de ce ruissellement, lesquels poussent à l'ombre ce qui n'en miroite pas. Qu'est-ce que c'est que ça le ruissellement ? C'est un bouquet. Ca fait bouquet : c'est ce qu'ailleurs j'ai distingué du trait premier et de ce qui l'efface. Je l'ai dit, en son temps, à propos du trait unaire : c'est de l'effacement du trait que se désigne le sujet. Cela se marque donc en deux temps, pour que s'y distingue ce qui est rature. Litura... lituraterre, rature d'aucune trace qui ne soit que d'avant, c'est ce qui terre du littoral. Liturature : c'est du littéral. La reproduire, cette rature, c'est reproduire cette moitié dont le sujet subsiste. Ceux qui sont là depuis un bout de temps doivent se souvenir de ce qu'un jour j'ai fait récit des aventures d'une moitié de poulet. Produire la rature seule, définitive, c'est cela l'exploit de la calligraphie. Vous pouvez toujours essayer de faire simplement - ce que je ne vous ai pas fait, parce que je la raterai : d'abord parce que je n'ai pas de pinceau - essayer de faire cette barre horizontale qui se trace de gauche à droite pour figurer d'un trait "l'Un unaire" comme caractère. Franchement vous mettrez très longtemps à trouver de quelle rature cela s'attaque et à quel suspens cela s'arrête, de sorte que ce que vous ferez sera lamentable : c'est sans espoir pour un occidenté. Il y faut un train différent qui ne s'attrape qu'à se détacher de quoi que ce soit qui vous raye. Entre centre et absence, entre savoir et jouissance, il y a littoral qui ne vire au littéral qu'à ce que ce virage vous puissiez le prendre le même à tout instant. C'est de cela seulement que vous pouvez vous tenir pour agent qui le soutienne. Ce qui se révèle de ma vision du ruissellement à ce qui domine la rature, c'est qu'à se produire d'entre les nuages, elle se conjugue à sa source - et c'est bien aux nuées qu'Aristophane me hèle - de trouver ce qu'il en est du signifiant, soit le semblant par excellence. Et c'est de sa rupture qu'en pleut cet effet, encore faut-il préciser qu'il y était matière à suspension. Il faut vous dire que la peinture japonaise dont tout à l'heure je vous ai dit qu'elle s'entremêle si bien de calligraphie, elle en regorge et que là le nuage, il n'y manque pas. C'est de là où j'étais à cette heure que j'ai vraiment bien compris quelle fonction avaient ces nuages, ces nuages d'or qui littéralement bouchent, cachent toute une partie des scènes, dans des lieux, des lieux qui sont des choses qui se déroulent dans un autre sens - celles-là, on les appelle "makémono"- qui président à la répartition des petites scènes. Pourquoi ? Comment se peut-il que ces gens, qui savent dessiner, éprouvent le besoin de les entremêler dans ces amas de nuages, si ce n'est précisément que c'est cela qui y introduit la dimension du signifiant ? La lettre, qui fait rature, s'y distingue d'être rupture donc du semblant qui dissout ce qui faisait forme, phénomène, météore : c'est cela - je l'ai déjà dit - que la science opère, au départ, de la façon la plus sensible sur des formes perceptibles. Mais du même coup cela doit être aussi que ce soit en congédier ce qui de cette rupture ferait jouissance, c'est-à-dire d'en dissiper ce qu'elle soutient de cette hypothèse, pour m'exprimer ainsi de la jouissance, qui fait le monde en somme ; car l'idée de monde, c'est cela : penser qu'il soit fait de pulsions telles qu'aussi bien s'en figure le vide. Et bien, ce qui de jouissance s'évoque à ce que se rompe un semblant, voilà ce qui, dans le Réel - c'est là le point important- dans le Réel, se présente comme ravinement. C'est là vous définir par quoi l'écriture peut-être dite dans le Réel le ravinement du signifié, soit ce qui a plu du semblant en tant que c'est cela qui fait le signifié. L'écriture ne décalque pas le signifiant, elle n'y remonte qu'à prendre nom, mais exactement de la même façon que ça arrive à toute chose que vient à dénommer la batterie signifiante après qu'elle les a dénombrés. Bien entendu, comme je ne suis pas sûr que tout mon discours s'entende, il va falloir quand même que je fasse épingle d'une opposition : l'écriture, la lettre, c'est dans le Réel et le signifiant, dans le symbolique. Comme ça, cela pourra faire pour vous ritournelle. Bon.
J'en reviens à un moment plus tard dans l'avion. On va avancer un peu : je vous ai dit que c'était au voyage de retour. Alors là, c'est ça qui est frappant, c'est de les voir apparaître : il y a d'autres traces qu'on voit se soutenir en isobares, elles, des traces sûrement qui sont de l'ordre d'un remblai. Enfin un gros isobare, cela les fait normales comme celles qui sont l'appui suprême du relief dont se marquent les courbes. Là d'où j'étais, c'était bien clair. J'avais déjà vu Osaka, comment les autoroutes paraissent descendre du ciel : il n'y a que de là qu'elles ont pu se poser comme ça les unes au-dessus des autres. Il y a une certaine architecture japonaise, la plus moderne, qui sait très bien retrouver l'ancienne. L'architecture japonaise, cela consiste essentiellement dans le battement d'une aile d'oiseau. Cela m'a aidé à comprendre de voir tout de suite que le plus court chemin d'un point à un autre ne serait jamais montré à personne s'il n'y avait pas le nuage qui carrément prend l'aspect d'une route. Jamais personne ne suit la ligne droite : ni l'homme, ni l'amibe, ni la mouche, ni la branche, ni rien du tout.
Aux dernières nouvelles, on sait que le trait de lumière non plus. C'est tout à fait solidaire de la courbure universelle. La droite là-dedans, cela inscrit tout de même quelque chose : cela inscrit la distance, et la distance qu'ont faites les lois de Newton, ça n'est absolument rien qu'un facteur effectif d'une dynamique que j'appellerai de cascade. C'est ce qui fait que tout ce qui choit suit une parabole. Donc, il n'y a de droite que de l'écriture, ni d'arpentage que du ciel. Et ce sont l'un et l'autre en tant que tels, pour soutenir la droite, ce sont artefacts à n'habiter que le langage. Il ne faudrait quand même pas l'oublier : notre science n'est opérante que d'un ruissellement de petites lettres et de graphiques combinés. "Sous le pont Mirabeau"... coule la scène... primitive. C'est une scène telle, ne l'oubliez pas, à relire Freud, que peut y battre le V romain de l'heure cinq - c'est dans l'homme aux loups - ; mais aussi que l'on n'en jouit pas, c'est le malheur de l'interprétation. Que le symptôme institue l'ordre dont s'avère notre politique, c'est là le pas qu'elle a franchi. Il implique d'autre part que tout se qui s'articule de cet ordre soit passible d'interprétation. C'est pourquoi on a bien raison de mettre la psychanalyse au chef de la politique. Et ceci pourrait être pas de tout repos pour ce qui est de la politique et pour tout ce qui s'y fait, Si la psychanalyse s'avérait plus avertie ! Il suffirait donc peut-être que pour mettre notre espoir ailleurs, ce que font les littérateurs, il suffirait donc que de l'écriture nous tirions un autre parti que de tribunes ou tribunal pour qu'y jouent d'autres paroles à nous en faire nous-mêmes, à nous en faire le tribut. Je l'ai dit - et je ne l'oublie jamais - qu'il y a pas de métalangue, que toute logique est faussée de prendre départ du langage objet comme immanquablement elle le fait jusqu'à ce jour. Il n'y a donc pas de métalangage, mais l'écrit que se fabrique du langage pourrait peut-être être matériel de force à ce que s'y changent nos propos. Je ne vois pas d'autre espoir pour ceux qui actuellement écrivent. Est-il possible en somme du littoral de constituer tel discours qui se caractérise, comme j'en pose la question cette année, de ne pas l'émettre du semblant ? C'est évidemment la question qu'ils se proposent dans la littérature dite "d'avant-garde", laquelle elle-même est un fait de littoral, et donc ne se soutient pas du semblant, mais pour autant ne prouve rien, sinon à montrer la cassure que seul un discours peut produire - j'ai dit produire, mettre en avant l'effet de production, c'est le schéma de mes quadripodes de l'année dernière. Ce à quoi semble prétendre une littérature en cette condition, c'est ce que j'épingle de "lituratterir": c'est de s'ordonner d'un mouvement qu'elle appelle scientifique. Et en effet dans la science l'écriture a fait merveille ; et cette merveille n'est pas près de se tarir. Cependant la science physique se trouve ou va se trouver ramenée a' la considération du symptôme, dans les faits, par la pollution - il y a des gens, très scientifiques qui y sont sensibles - par la pollution de ce que du terrestre on appelle, sans plus de critique, environnement. C'est l'idée de Uxküll : l'Umwelt, mais béhavioriste, c'est-à-dire complètement crétinisé.
Pour "lituratterrir" moi-même, je vais repartir de cet effet dans le ravinement - c'est une image certes, mais d'aucune métaphore : l'écriture est ce ravinement. Ce que j'ai écrit là y est compris, et quand je parle de jouissance, j'invoque ce que j'accumule d'auditoire, et pas moins naturellement ce dont je me prive. Ça m'occupe, votre affluence. Le ravinement. Je l'ai préparé. Qu'il y ait inclus dans la langue japonaise - c'est là que je reprends - un effet d'écriture, l'important, c'est ce qu'il s'y offre comme ressource de faire exemple "lituraterrir". L'important, c'est que l'effet de l'écriture, reste attaché à l'écriture, que ce qui est porteur de l'effet d'écriture y soit une écriture spécialisée, en ceci qu'en japonais cette écriture spécialisée puisse se lire de deux prononciations différentes - en "oniomi" je ne suis pas là en train de vous jeter de la poudre aux yeux - "oniomi", c'est comme cela que ça s'appelle, c'est sa prononciation en caractères ; en caractères, ça se prononce comme tel distinctement, - en "kouniomi", de la façon dont ça se dit en japonais, ce que le caractère veut dire. Vous allez naturellement vous foutre dedans, c'est-à-dire que, sous prétexte que le caractère est lettre, vous allez croire que je suis en train de dire que dans le japonais les épaves du signifiant courent sur le fleuve du signifié. C'est la lettre, et non pas le signe, qui ici fait appui signifiant, mais comme n'importe quoi d'autre, à suivre la loi de métaphore dont j'ai rappelé, ces derniers temps, ce qui y fait l'essence du langage, du discours, qu'il prend quoi que ce soit au filet du signifiant, et donc l'écriture elle-même.
Seulement voilà, elle est promue de là à la fonction d'un référent aussi essentiel de toute chose, et c'est cela qui change le statut du sujet. C'est par là qu'il s'appuie sur un ciel constellé, et non seulement sur le trait unaire pour son identification fondamentale. Et bien, justement il y en a trop. Trop d'appuis, c'est la même que de n'en pas avoir. C'est pour cela qu'il prend appui ailleurs, sur le "tu". C'est qu'en japonais, on voit toutes les formes grammaticales pour le moindre énoncé, pour dire quelque chose, comme ça, n'importe quoi, il y a des manières plus ou moins polies de le dire selon la façon dont je l'implique, dans le "tu". Je l'implique, si je suis japonais, si je ne suis pas japonais, je ne le fais pas. Vous pouvez évidemment apprendre comme tout le monde quand vous saurez, vous verrez que c'est le sujet aux vacations dans l'énoncé, qui sont des variations de politesse, vous aurez appris quelque chose. Vous aurez appris qu'en japonais, la vérité renforce la structure de fiction que 'j'y dénote justement d'y ajouter les lois de la politesse. Singulièrement ça semble porter le résultat de ce qu'il n'y ait rien à défendre du refoulement, puisque le refoulé lui-même trouve à se loger de cette référence à la lettre. En d'autres termes, le sujet est divisé comme partout par le langage, mais un de ces registres peut se satisfaire de la référence de l'écriture, et l'autre de l'exercice de la parole. C'est sans doute ce qui a donné à mon cher ami Roland Barthes ce sentiment enivré que de toutes ces bonnes manières, le sujet japonais ne fait bloc en rien. Du moins est-ce ce qu'il dit dans un livre que je vous recommande "l'Empire des Signes", qu'il intitule ça. Dans les titres, on fait des termes souvent un usage impropre ; on fait cela pour les éditeurs. Ce qu'il veut dire évidemment, c'est l'empire des semblants. Il suffit de lire le texte pour s'en apercevoir. Et bien, le japonais du commun, m'a-t-on dit, la trouve mauvaise. C'est du moins ce que j'ai entendu là-bas. Et en effet, quelque excellent que soit le livre qu'ait écrit Barthes, je lui opposerai ce que je dis aujourd'hui, à savoir que rien n'est plus distinct du vide creusé par l'écriture que le semblant, en ceci d'abord qu'il est le premier de mes godets prêt toujours à faire accueillir la jouissance ou tout au moins à l'invoquer de son artifice. D'après nos habitudes, rien ne communique moins de soi qu'un tel sujet qui en fin de compte ne cache rien, qui n'a qu'à nous manipuler. C'était pour moi un délice, car en fin de compte j'adore ça... Vous êtes un élément, entre autres, du cérémonial où le sujet se compose justement de pouvoir se décomposer. Le "Bunraku", j'ai été le revoir là-bas, et bien le "Bunraku", c'est là son ressort : il fait voir la structure toute ordinaire pour ceux à qui elle donne leurs moeurs elles-mêmes. Aussi bien, comme au Bunraku, tout ce qui se dit dans une conversation japonaise pourrait-il aussi bien être lu par un récitant. C'est là ce qui a dû soulager Barthes. Le Japon est l'endroit où il est le plus naturel de se soutenir d'une interprète qui aurait aussi bien pu être un ; on est tout à fait à l'aise, on peut se doubler d'une interprète, cela ne nécessite en aucun cas d'interprétation Vous vous rendez compte, c'est formidable le japonais, c'est la traduction perpétuelle des faits du langage. Ce que j'aime, c'est que la seule communication que j'y ai eue hors des Européens, bien sûr, avec lesquels je sais m'entendre selon notre malentendu habituel, c'est une communication scientifique. J'ai été voir un éminent biologiste ; la politesse japonaise, ça l'a poussé à me démontrer ses travaux naturellement là où ça se fait : au tableau noir le fait que, faute d'informations, je n'y compris rien, n'empêche nullement ce qu'il a écrit, ses formules, d'être entièrement valables, valables pour les molécules dont mes descendants se feront sujets, sans que j'ai jamais eu à savoir comment je leur transmettrais, ce qui rendait vraisemblable que, moi, je me classe parmi les....
Une ascèse de l'écriture, ça n'ôte
rien des avantages que nous pouvons prendre de la critique
littéraire.
Ca me
semble, pour fermer la bouche sur quelque chose de plus cohérent en raison de
ce que j'ai déjà avancé, ça me semble ne pouvoir passer qu'à rejoindre ce
"c'est écrit" impossible dont s'instaurera peut-être un jour le rapport
sexuel.